Parc Madidi, Bolivie. Communauté d’où part le trek de plusieurs jours en plein coeur de la jungle amazonienne
Dans les Andes, la feuille de coca est omniprésente. On l’achète partout, dans les marchés, dans la rue, dans les magasins… Dans la partie amazonienne de la Bolivie, les locaux adorent également la mâcher, en la combinant avec une petite racine qui donne du goût. C’est ce qui déforme la joue du guide sur cette photo ! Par contre, ce n’est par exemple pas le cas en Amazonie au Pérou. La coca est une plante d’Amérique du Sud aussi appelée « mama inala » en langue quechua. C’est un arbuste mesurant maximum 4 mètres de haut avec de petites feuilles qui poussent à l’état sauvage dans la cordillère des Andes à des altitudes variant de 300 à 2 000 m. La feuille est la seule à contenir les fameux alcaloïdes, origine de ses bienfaits mais aussi de toute la polémique dont elle souffre…
Histoire de la coca
Elle est un fondement culturel pour une grande partie de l’Amérique latine, en particulier en Amazonie du Nord-Ouest et dans les hauts plateaux andins. Elle est considérée comme une plante sacrée pour de nombreux peuples amérindiens. Dans les Andes, « Mama Coca » est considérée comme la fille de Pachamama (la Terre mère). Elle est ainsi utilisée traditionnellement de la Colombie jusqu’au Chili, en passant par le Pérou, l’Equateur, la Bolivie et le nord de l’Argentine.
Sculpture olmèque – préparation de la coca. Le personnage est représenté avec une boule au niveau de la bouche caractéristique des macheurs de coca
Utilisée depuis plus de 5000 ans par les civilisations précolombiennes. On la retrouve représentées sur de nombreux supports et vestiges archéologiques qui mettent bien en évidence sa consommation ancestrale. Des feuilles ont été retrouvées sur le site de Huaca Prieta daté de 2 500 à 1 800 ans avant notre ère. Tout comme une statue de céramique de 7 cm de haut, estimée à -1500 ans, qui représente une tête d’homme, dont la joue est déformée par la coca qu’il mâche, comme on peut le voir partout encore aujourd’hui chez les « coqueros » (terme donné aux mâcheurs de coca). Elle fait partie intégrante de cette civilisation précolombienne et continue toujours autant d’être consommée aujourd’hui : produite de manière agricole, intégrée à la pharmacopée, aux rites sociaux et religieux…
Les légendes incas racontent que le Dieu Soleil créa la coca pour stopper la soif, tuer la faim et faire oublier aux hommes la fatigue. Sa consommation était réservée à l’époque des incas, aux personnes de très haut rang. Seules les classes dirigeantes en avaient l’exclusivité mais elle pouvait être distribuée plus largement à l’occasion de certaines grandes fêtes. C’est à partir de la colonisation espagnole que son usage s’est généralisé. Au Pérou, la consommation de la coca fut prohibée dans un premier temps par l’Eglise Espagnole car elle la considérait comme un produit satanique. Au milieu du 16ème siècle, l’Eglise s’aperçu que les mineurs n’étaient plus aussi productifs au travail. Du coup, elle révisa son jugement en la rendant obligatoire ! En effet, la capacité de travail des travailleur se voyait multipliée par deux, les intérêts économiques étaient évidents…
Pub de 1863 du Vin « tonique » Mariani, réalisé à partir de vin bordelais et de feuilles de coca
La première description scientifique de la coca a lieu en 1750, quand le botaniste français Joseph de Jussieu revient d’Amérique du Sud. Mais ce n’est qu’en 1863 qu’un chimiste nommé Angelo Mariani en exploite commercialement les propriétés en brevetant des produits comme les pastilles de coca, le thé a la coca, et le vin aux extraits de coca dont la publicité vantait ses propriétés énergisantes. Le vin Mariani eut un succès phénoménal partout en Europe. En 1886, un pharmacien américain d’Atlanta, John Smith Pemberton, s’en inspire pour créer une boisson stimulante a base de coca et de noix de Kola. En 1892, Asa Candler, un autre chimiste, acheta les droits sur cette boisson et fonda la Compagnie Coca-Cola… C’est 10 ans plus tard que les scientifiques découvrent les dangers de la cocaïne, un des alcaloïdes qui existent dans la feuille de coca (1%). A ce moment là, Coca-Cola retire l’alcaloïde de sa formule. En 1855, un scientifique allemand, Friedrich Gaedcke, parvient à isoler la cocaïne de la feuille de coca. 5 ans plus tard, un autre allemand, Albert Nieman, élabore la cocaïne purifiée comme on la connaît aujourd’hui. Depuis, l’amalgame persiste entre cette drogue et la feuille de coca…
Aujourd’hui, quelle est l’utilisation de la feuille de coca ?
Jusqu’à aujourd’hui, la feuille de coca est présente dans chaque acte d’échange dans la région des Andes et au nord ouest de l’Amazonie, où l’on peut toujours voir les gens avec une boule sous la joue caractéristique des personnes mâchant la coca. Selon la croyance populaire indigène, il existe 3 mondes en interaction: le monde d’en haut, celui des dieux, le monde du milieu dans lequel nous vivons tous, et le monde d’en bas. Dans ces 3 mondes, l’échange spirituel est permanent et la feuille de coca toujours présente. Sans elle, il n’y aurait pas d’interaction possible.
Cultivateur de coca qui présente les feuilles fraichement coupées. Elles se consomment sèches.
La feuille de coca se vend dans tous les marchés andins (ici, à La Paz)
Il est aussi coutume de l’offrir à la Pachamama pour la remercier d’une bonne récolte par exemple. Durant la messe aymara, les religieux lisent le futur dans les fibres de la feuille. Chaque moment symbolique de la vie est accompagné d’offrandes de coca qui continue aujourd’hui d’être un élément fort dans les échanges entre communautés. Tout comme dans la société judéo chrétienne, le pain et le vin sont deux éléments symboliques utilisés pour fêter ou recevoir des amis, la coca tient ce rôle dans la société andine. Aussi en Amazonie, et par exemple lors d’un trek en Bolivie, votre guide offrira probablement à la Pachamama le soir, quelques feuilles de coca avec quelques cigarettes dans un trou creusé spécialement pour cet effet. De même, il est fort possible qu’il vous propose de mâcher quelques feuilles la journée pendant la marche et après le repas du soir en guise de dessert !
Traditionnellement, les feuilles de coca sont consommées de la manière suivante : la nervure principale de chaque feuilles est enlevée, les feuilles sont pliées pour former une petite boule dans laquelle il est courant de rajouter de la chaux de manière à augmenter la solubilisation des éléments actifs de la coca et de fait l‘effet stimulant. La boule de feuille est placée dans un coin de la bouche, en contact de la gencive. Elle n’est pas mastiquée, mais reste en place durant de nombreuses heures. Le coquero ajoute des feuilles régulièrement au fil de la journée. Il est également possible de la consommer en thé (« mate de coca »). En Colombie du Sud-Ouest, les Indiens font des feuilles de coca une fine poudre qu’ils mélangent à des cendres de feuilles de raisin d’Amazonie pour la chiquer sous forme de poudre qu’ils appellent mambe.
La coca, une plante miraculeuse ?
A la différence d’autres types de culture comme le maïs, le blé ou le riz, la coca est très résistante et s’adapte très bien au milieu tropical de la Bolivie, du Pérou, de l’Equateur et de la Colombie. La plante peut donner jusqu’à 4 récoltes par an et ne nécessite aucun traitement spécial. Elle est constituée de 14 alcaloïdes dont la cocaïne fortement minoritaire (0,5 à 3%). Du point de vue scientifique, la feuille de coca est un stimulant, et non pas un narcotique, elle ne créerait aucune dépendance. Ceci dit, j’ai souvent vu des locaux en consommer sans arrêt, toujours un petit sac dans la main rempli de feuilles…
En fait elle a de nombreuses vertus : elle réduit les caries, augmente la résistance physique mais elle est aussi un véritable aliment pour ceux qui la mâchent avec une grande qualité nutritionnelle. 100 grammes de coca bolivienne suffisent pour couvrir les nécessités journalières en calcium, fer, phosphore, vitamine A et B2… Raison pour laquelle l’OMS observe dans un rapport de non toxicité que la coca n’est pas nocive pour la santé, et qu’elle serait un des meilleurs aliments au monde selon des chercheurs de Harvard. En 1975 ils démontrent que sa valeur nutritionnelle peut être comparée à celle du quinoa, de la cacahuète, du blé ou du maïs. La coca contiendrait également plus de calcium que le lait, plus de fer que les épinards et autant de phosphore que le poisson.
La coca, symbole d’enjeux économiques et politiques
Elle est couramment utilisée dans de très nombreux produits comme le shampoing, le dentifrice, des vêtements ou des médicaments. Pour les défenseurs de la plante, sa commercialisation représente un potentiel considérable pour toute la région andine.
Coup médiatique d’Evo Morales pour dediaboliser la feuille de coca aux Nations unies, «La Coca No es Droga»
En 1961, les Nations Unies inscrivent la coca dans la liste des produits stupéfiants, au même titre que la cocaïne et l’héroïne. En 1971, la OEA (Organisation des Etats Américains) interdit sa culture, sa consommation, sa commercialisation et de fait son exportation. Le 11 mars 2009 Evo Morales fit un coup médiatique pour demander le retrait de la plante de la liste noire en mâchant une feuille de coca lors d’une réunion de la Commission des stupéfiants de l’ONU à Vienne. Cependant elle continue d’être interdite… A l’exception de la société américaine Stepan qui bénéficie d’un passe droit et qui importe plusieurs centaines de milliers de tonnes de feuilles de coca chaque année en toute légalité aux Etats-Unis, pour des entreprises pharmaceutiques et Coca Cola, seuls autorisées à commercialiser des produits à base de feuille de coca décocaïnée (dont les alcaloïdes ont été extraits) ! (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Stepan_Company)
La lutte antidrogue est un échec total selon les objectifs officiels, étant donné que la guerre contre le narcotrafic n’a jamais eu d’impact sur la production de drogue. Elle n’a fait que déplacer le problème d’un pays à un autre, d’une région à une autre. Aujourd’hui, c’est principalement en Colombie que la culture de la coca destiné au trafic de drogue est la plus intense. Par ailleurs cette lutte acharnée s’avère avoir un impact très négatif sur l’environnement du fait de la déforestation générée par le déplacement des zones de culture et de la fumigation. Depuis 2002 ont été déversés 8 millions de litres de produits chimiques (produits par Monsanto et supposés être utilisés avec la plus grande prudence) en Colombie pour la fumigation des plantations de coca en Amazonie.
Fumigation de plantations de Coca en Colombie pour lutter contre le narcotrafic
En outre, loin d’être un choix de vie de la part des paysans andins, la culture de la feuille de coca leur permet simplement de survivre. Sans réforme agricole, sans politique de développement, sans une véritable alternative, la feuille de coca continuera car aucune culture traditionnelle ne peut leur garantir une rentrée d’argent comparable.
En revanche, certains parlent de succès de la lutte antidrogue lorsqu’ils observent l’influence économique et politique des Etats-Unis sur certains pays aux ressources potentielles (pétrole, gaz, minerais) mais aux mouvements sociaux jugés préoccupants (« bolivarisme », « chavisme » d’Hugo Chavez). L’ingérence politique des Etats-Unis a même parfois été jusqu’à faire directement pression sur l’électorat bolivien via son ambassadeur qui « déconseillait fortement » de voter pour Evo Morales lors des élections de 2005, sous peine de perdre l’aide américaine.
Hugo Cabieses, économiste et spécialiste de la lutte antidrogue et du développement alternatif au Pérou arrive finalement à ces conclusions :
- 1- La coca n’est pas la cocaïne, les producteurs de la feuille de coca ne sont pas des délinquants et les consommateurs de coca ne sont pas des toxicomanes.
- 2- La coca a 5 caractéristiques :
- Elle est un élément central de l’identité culturelle andino-amazonienne,
- Elle est un élément de cohésion sociale,
- Elle constitue un apport énergétique pour les travaux difficiles et les longues marches,
- Elle est un constituant essentiel de l’activité paysanne et une source majeure de revenu par son usage à l’état brut mais aussi via sa transformation et son industrialisation en produits dérivés,
- Elle est la matière première pour la production de drogue. C’est cette dernière caractéristique qui doit être contrôlée et combattue.
- 3- Revaloriser la feuille de coca au niveau international. C’est à dire la retirer de la liste des produits stupéfiants de l’ONU.
- 4- Limiter et rationnaliser sa production aux quantités nécessaires à sa consommation traditionnelle et son usage industriel.
- 5- Les pays andins doivent discuter et favoriser une politique commune autour de la coca et des drogues qui peuvent en être produites. La politique des Etats-Unis est inefficace et vise à contrôler et exploiter les ressources naturelles telles que le gaz, le pétrole, l’eau, le bois, etc.
L’exportation de produits dérivés de la coca pourrait être à la fois une façon d’augmenter les perspectives pour l’économie rurale de la région andine d’Amérique du Sud, mais aussi une façon efficace de lutter contre la production illicite de cocaïne. Simplement du fait que les feuilles de coca destinées au commerce légal, ne peuvent pas aller sur le marché illégal.
Lors de votre trek dans le Parc Madidi, le guide vous proposera à coup sûr de mâcher quelques feuilles en journée ou le soir après le dîner… cela fait partie de l’expérience… Allez vous tester??
Diana Gordon
Posted at 16:18h, 03 novembreBonjour Fabien,
Je suis colombienne (plus spécifique de l’Amazonie) et je suis étudiante du master en France, j’ai trouvé votre article car je vais faire un exposé sur la consommation de coca dans la culture d’Amérique Latine, merci pour résumer parfaitement l’utilisation de la plante de coca dans notre culture.
Fabien
Posted at 21:43h, 03 novembreHola Diana!
Content de lire que l’article t’ait plu.
N’hésite pas à le mettre dans tes références. ?
A bientôt.
PS: pour l’instant aucun trek en Colombie n’est mis en place, mais ça ne saurait tarder…