Ayahuasca : le rituel chamanique amazonien millénaire
Trekkings et Excursions en plein coeur de la jungle d'Amazonie et d'Amérique centrale. Voyages au Pérou, en Bolivie, en Equateur et au Guatemala.
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Ayahuasca et Chamanisme Amazonien

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Lors de mon dernier voyage au Pérou, à peine sorti de l’avion à l’aéroport à Lima, j’ai remarqué une grande affiche publicitaire qui souhaite la bienvenue aux touristes. On y voyait un vieux monsieur, le visage tanné, les traits indiens, tenant une pipe et soufflant une fumée violacée… Une pancarte pleine de mysticisme qui faisait, selon moi, la promotion implicite du chamanisme péruvien et du rituel de l’ayahuasca. Une pub pour le moins surprenante.
En plein boom depuis une dizaine d’années, et particulièrement dans la région de Tarapoto et d’Iquitos au Pérou, le tourisme spirituel de l’ayahuasca attire de plus en plus d’occidentaux à la recherche de sensations fortes et de solutions à leurs problèmes.
Je vous propose un article documenté sur l’ayahuasca : du mécanisme d’action de ses éléments actifs sur le corps humain aux témoignages de personnes ayant vécu cette expérience.

Cérémonies chamaniques en Amazonie

Ayahuasca vient du Quechua, une langue parlée dans les Andes et une partie du bassin amazonien.
Aya signifierait « mort » ou « âme », huasca « lien » ou « liane ». 2 notions extrêmement importantes qui résument bien ce rituel…

L’ayahuasca, aussi appelé Yagé dans certaines régions d’Amazonie, est un breuvage à base de plantes, utilisé par différentes tribus indiennes amazoniennes. Elle est pratiquée depuis des millénaires dans la culture amazonienne vénézuélienne, colombienne, péruvienne, bolivienne, équatorienne et brésilienne. Plusieurs tribus indigènes ont recours à l’utilisation traditionnelle de l’ayahuasca pour rentrer en transe et avoir accès à certains pouvoirs divinatoires, ou comme outil de purification pour traiter une maladie… Ces rituels sont millénaires, ils existeraient depuis 4000 à 5000 ans. L’ingestion d’ayahuasca provoque des états modifiés de conscience durant lesquels les personnes ont des visions, et rentrent dans une courageuse quête de soi-même. Ces effets durent 4 à 8 heures.

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L’installation sommaire typique de cérémonie d’ayahuasca : un petit matelas, une bouteille d’eau, une petite couverture, et surtout un sceau dans le lequel on vomit tout du long de la soirée.

La diète et la préparation qui précèdent la prise d’ayahuasca, constituent une phase importante. L’objectif est de nettoyer le corps physiquement et énergétiquement pour maximiser l’expérience et éviter les possibles effets non désirables. Par exemple, il vous sera demandé de ne pas consommer ni de porc ni de drogues récréatives, ni même de l’alcool, les deux semaines qui précèdent la cérémonie. Il est aussi demandé d’éviter toute relation sexuelle pendant un certain temps (pouvant aller jusqu’à plusieurs mois !). Pendant votre retraite, vos repas seront végétariens et frugaux.

Lors de ces rituels en pleine forêt amazonienne, le groupe généralement composé d’une petite dizaine de participants, s’assoit directement sur le sol en formant en arc de cercle. Le chaman qui dirige la cérémonie commence à recracher la fumée d’un cigare appelé « mapacho » (un genre de Gitane sans filtre surdimensionnée), autour des personnes et du groupe pour repousser les énergies négatives.

Au centre du demi cercle, le chaman met en évidence l’ayahuasca et le matériel qu’il utilise pour le rituel qui peut durer jusqu’à 7 heures. Le chaman, qui boit également le breuvage, entonne des chants sacrés appelés « ícarios » tout du long de la cérémonie. 20 à 45 minutes après avoir ingéré le breuvage, les participants commencent à sentir les premiers effets de l’ayahuasca connus sous le nom de « mareacion » (nausées). Certains commencent à vomir, d’autres à avoir la diarrhée, des sueurs, etc.

Pendant les sessions d’ayahuasca, le défi pour chaque personne est de comprendre la réelle signification des visions qu’elle observe pour en tirer un enseignement à prendre en compte dans la vie de tous les jours.

L’effet purgatif est aussi quelque chose de fondamental. La première question du chaman suite à la cérémonie est « est-ce que tu as vomi ? ».

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La liane Banisteriopsis qui constitue l’élément fondamental et indispensable au breuvage de l’ayahuasca.

Les différents types de visions/hallucinations

Depuis toujours, les rêves et les visions provoqués ou non par des plantes, ou d’autres moyens de rentrer en transe, sont, des éléments d’une grande importance dans la société des peuples autochtones.
Selon eux, ils constituent des messages envoyés et des moyens de communication avec les esprits des ancêtres, des végétaux ainsi que des animaux.

Notre société parle d’hallucinations, c’est à dire une perception erronée de la réalité qui n’existe pas, une vision incohérente. Les chamans parlent de VISION, c’est à dire la perception d’une réalité nouvelle qui existe bel et bien, mise en évidence grâce à l’ayahuasca. Qui a raison ? Peut-être bien les deux. On va dire que c’est une question de point de vue, une question d’expérience, une question de foi… Utilisons le terme « visions » pour le reste de ce paragraphe.

Lors d’une séance d’ayahuasca, vous faites face à différents types de visions. Vous pouvez dialoguer avec un esprit ou avec une personne qui est loin de vous, voir une projection d’images comme si vous regardiez un film, mais à 360°, plus vraie, plus grandiose, plus intense.

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Bien que tout se passe dans le noir, les visions sont en général extrêmement colorées. Le serpent et le jaguar sont deux animaux rencontrés très fréquemment lors de ces visions. On comprend pourquoi ils tiennent une si grande importance dans toute la cosmogonie amazonienne.

On distingue plusieurs niveaux de visions :

  • Des images légères peuvent apparaître et disparaître rapidement, de la même manière que celles qui nous viennent lorsqu’on commence à s’endormir.
  • Des images que vous contrôlez et que vous pouvez fabriquer selon votre propre volonté.
  • Des images plus fortes qui restent longtemps, comme des couleurs ou des serpents qui peuvent glisser sur votre corps ou même sortir de votre ventre…
  • Des images vraies, elles sont les plus impressionnantes et l’une des raisons qui font que cette expérience est si intense. Elles sont décrites comme extraordinaires et on s’en souvient en général pour longtemps…
  • Puis, il y a ce qu’on appelle des « visites » d’amis, de membres de la famille, de connaissance
  • Enfin il y a des déplacements dans l’espace, dans le temps, la visite d’autres « mondes »…

 

Les scénarios sont infinis et tout est possible avec l’ayahuasca. Vous pouvez vivre le voyage de votre vie, vivre un enfer total, les deux, ou même…rien !

Pour obtenir des visions, la concentration serait la clef. Rester dans un silence intérieur est une des choses les plus difficiles à faire mais c’est aussi visiblement le meilleur moyen de les provoquer.

Un documentaire « Ayahuasca, le serpent et moi » qui suit plusieurs personnes dans leur expérience personnelle avec l’ayahuasca. Super intéressant !

Témoignage traduit de l’espagnol : « Le temps d’un soupir je me retrouve soudain face à Dieu. »

Première cérémonie d’ayahuasca d’une mexicaine, en forêt près de Huixquilucan à 2 heures de Mexico DF.

«Le chaman, Ichiro, perché sur sa petite estrade, sort ses instruments et nous lit le déroulement de la cérémonie. Par exemple, comment et quand il est possible de demander un peu plus du breuvage si on sent que le « travail » n’a pas encore commencé, maintenir le silence et ne pas ennuyer ses compagnons étant donné le caractère intime et introspectif fort de l’expérience.

Les uns après les autres nous buvons le breuvage préparé par Ichiro. Moment décisif, il n’était plus possible de retourner en arrière. En plongeant mon regard dans les yeux paisibles d’Ichiro, je bois en 2 gorgées l’ayahuasca contenue dans un verre aussi petit que celui qu’on utilise pour un shot de Tequila. De consistance épaisse, le breuvage a un goût à réglisse et tamarin. Plutôt pas mauvais du tout de prime abord. Lorsque tout le monde termine son verre, Ichiro commence à jouer de ses instruments, des chansons traditionnelles faisant partie du rituel qui invoquent les esprits de la Pachamama. Peu à peu, je vois mes compagnons commencer leur voyage… De mon côté, rien. Je reste super sobre et continue d’observer la transformation silencieuse des uns et des autres. Au rythme des instruments, je pouvais imaginer l’âme des autres jouer entres les petites flammes des bougies disposées au centre du cercle. « Quelle chance ! », je me disais. Le temps passe et je continue d’être tout à fait normale, rien ne se passe. Je décide de prendre un 2ème verre d’ayahuasca. Moi aussi je souhaitais vivre cette expérience mystique de connexion à l’univers, je voulais voir Dieu dans les yeux et enfin tout comprendre, me déplacer comme le ferait une petite particule dans l’immensité du cosmos… J’en étais encore bien loin. Alors que je l’avais trouvé appréciable la 1ère fois, le goût du breuvage me parut horrible la 2nd fois. D’autres personnes prirent également une seconde tournée.

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La cérémonie continuait, le chaman continuait d’entonner les chants sacrés, avec les différents vomissements en fond sonore. Pour ma part je n’avais aucune nausée, je me sentais parfaitement bien et je commençais à douter sérieusement de tous les commentaires que j’avais pu écouter sur les aspects magiques de l’ayahuasca. Je ne voulais pas être cette personne qui juge les vertus des remèdes naturels, mais je ne pouvais pas l’éviter, j’étais venue vivre une expérience qui n’arrivait pas.

La cérémonie était déjà bien avancée et je décide de m’approcher pour recevoir un 3ème verre d’ayahuasca, tout comme les autres personnes qui en avaient déjà redemandé. Mon dégout pour la boisson était à son maximum. Je retourne à ma place et là tout a commencé.

D’un coup, je senti une sensation lointaine qui m’envahissait peu à peu. Une vision obscure accompagnée de formes géométriques. L’obscurité dans laquelle je submergeais était pâteuse, « désespérément » obscure, plus profonde et intense que ce que j’avais jamais pu connaître dans le passé. Des démons grimpaient les parois de ce puits d’obscurité autour de moi. Peu à peu je sentais son énergie se déposer juste autour de moi. Puis j’ouvris les yeux et reprenais le contrôle de ma respiration. Un instant, j’ai pu échapper à cette sensation démoniaque. Mais mes paupières étaient lâches et se refermèrent à nouveau dans cet abîme démoniaque. L’angoisse m’envahit, le désespoir, l’impuissance… C’était comme cette paranoïa qui débarque lors d’un mauvais voyage avec la marijuana, mais en enfer. J’ai recommencé à respirer et à ouvrir les yeux. Autour, tout était pareil, les gens vomissaient, certains étaient complètement exaltés et désobéissaient à toutes les règles qui avaient été établies : ils criaient, se déplaçaient partout, touchaient les autres gens… Je me suis concentré sur ça, sur ma respiration et la sensation d’obscurité disparut. Ça aura duré environ 10 minutes et je me suis dit « C’est ça mon grand enseignement ?! Ça ne peut pas être seulement ça, c’est pas possible bordel !! ». 

Et oui, j’étais redevenu complètement lucide. Je continuais à observer ce qui ce passait autour de moi. Un mec se sentait tellement bien qu’il décida de se pisser dessus de manière totalement consciente et volontaire. Pendant que j’assistais à ce spectacle et que le chaman continuait de guider la cérémonie à travers ses chants et la musique, je réfléchissais à prendre une 4ème dose d’ayahuasca… Jusqu’à maintenant je n’avais rien vomi. J’étais la seule. Le chaman s’approchait de nous, l’un après l’autre, pour nous faire une petite toilette rapide. Environ 2 heures s’étaient alors écoulées et j’avais déjà tiré un trait sur l’expérience spirituelle que j’étais venue chercher. J’étais probablement une de ces personnes à qui l’ayahuasca ne fait rien la première fois. J’étais résignée. D’un coup je vois mon amie qui était dans le même état de lucidité que moi et le chaman, surpris, nous proposa un 4ème verre d’ayahuasca.

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Boum. Le temps d’un soupir et je me retrouve soudain face à Dieu. J’y étais arrivée, enfin ! Rien ne peut se comparer avec cette expérience. Je ne faisais qu’un avec l’univers. J’étais le passé, le présent, le futur. Je sentais les énergies de mon corps se démêler, nœud après nœud tout autour de ma colonne vertébrale. J’ai tellement ri, je suis passée par plusieurs dimensions olfactives, j’ai perdu totalement la notion du temps et de l’espace… Je ne me suis jamais autant amusée, je ne me suis jamais autant soulagée, je n’ai jamais été si heureuse. J’ai ri seule, j’ai ri avec mes compagnons de voyage, j’ai ri avec ces créatures phosphorescentes avec qui je discutais alors que je mettais une éternité à mettre mon pull. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, à tel point que je ne savais pas qu’il pouvait contenir autant de liquide, puis finalement le saint graal : j’ai vomi. Vomir avec l’ayahuasca est le plus beau que tu puisses faire, parce que c’est un vomissement physique, tu vomis quelque chose d’interne, d’inconscient comme une rancœur, une colère, une perte, ou même ton égo qui ne te laisse pas avancer. Face à face avec moi même j’ai avancé et j’ai grandi. Je me suis convertie en une déesse, j’ai découvert le chemin de mon développement personnel. Je suis morte à l’envers. J’étais en train de renaître. On dit que l’on voit passer sa vie devant ses yeux juste avant de mourir. Ce serait l’effet de la décharge de DMT endogène expulsé par l’organisme et il est probable que ce soit effectivement ainsi. 

Je me suis tuée sciemment pour pouvoir me réincarner en la personne que je souhaite être.

L’ayahuasca m’a enseigné une leçon d’humilité, celle d’être seulement un singe microscopique dans le schéma universel. Faire face à qu’on appelle populairement « nos démons », avec la lucidité et l’énergie qu’apporte l’ayahuasca, peut être une bénédiction si tu sais comment l’appréhender. Ça a été une renaissance et quelque chose en moi a changé. Je ne dis pas que je ne suis plus athée ou sceptique sur les religions, mais c’est une connaissance qui a bouleversé ma vie. Ça dépasse l’entendement. Mais ceux qui l’on vécu savent et comprennent l’univers d’une toute autre manière. C‘est merveilleux d’avoir pu pousser les limites de son cerveau. Je reprendrai un jour l’ayahuasca mais je ne sais pas encore quand. La récupération est dure. Tu termines la cérémonie en ouvrant et fermant les yeux, de la même manière que tout a commencé. Tu en reviens épuisée, comme si tu avais couru un marathon spirituel. Néanmoins physiquement tu es refait à neuf et tu pourrais repartir pour un triathlon.

Probablement que l’ayahuasca n’est pas pour tout le monde. Il faut être disposé à trifouiller les profondeurs de notre inconscient et avoir une puissante expérience spirituelle. Mais si tu y vas à fond et si tu es préparé à affronter cette expérience, ça te change la vie. L’ayahuasca n’apporte pas ce que l’on cherche, mais ce dont on a besoin. L’ayahuasca vous permet de vous connecter avec quelque chose de bien plus puissant que vous ne pourriez jamais imaginer.

J’ai fortifié mon intelligence existentielle. J’ai été le temps et l’espace, je suis morte et je renais, j’ai pleuré, j’ai pardonné, aimé et remercié. Après avoir vécu intensément ces émotions, je pense que je peux me consacrer à vivre ma vie, sans préoccupation, sans rancoeur, sans égo. Simplement vivre la vie de la manière la plus pure et colorée. Je n’ai plus peur de la mort, j’ai envie de vivre. »

L’Ayahuasca c’est quoi exactement ?

Les 2 ingrédients actifs : la liane Banisteriopsis et la Chacruna

Il faut 2 ingrédients essentiels pour obtenir les effets de l’ayahuasca : la liane Banisteriopsis qui constitue l’élément fondamental et indispensable du breuvage, et son adjuvant Psychotria viridis, indispensable pour l’effet psychotrope mais qui peut néanmoins tout à fait être remplacé par autre chose.

Les plantes qui entrent dans la composition du breuvage contiennent plusieurs alcaloïdes (molécule azotée d’origine végétale) actifs qui entrent en synergie et qui sont responsables des effets psychotropes obtenus. L’une de ces plantes est donc la feuille de chacruna (Psychotria viridis). Elle contient un alcaloïde appelé DMT qui, lorsqu’il est ingéré, est rapidement dégradé, c’est à dire détruit, par une enzyme (MAO) qui existe sous forme naturelle dans notre système digestif. Cependant, l’élément principal du breuvage de l’ayahuasca, la liane Banisteriopsis caapi, est riche en β-carbolines qui inhibent l’activité de l’enzyme MAO et, de fait, la destruction du DMT qui peut, du coup, aller chatouiller les neurones du système nerveux.

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La liane Banisteriopsis, l’essence même de l’ayahuasca, raison pour laquelle elle est indispensable. Elle fournit toute la force et permet de rentrer en transe.

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Feuilles de chacruna (Psychotria viridis), l’autre composant de l’ayahuasca qui fournit les visions. A la différence de la liane, elle n’est pas indispensable et peut être remplacée.

Le DMT est un agoniste (c’est à dire une molécule qui imite l’action d’une autre molécule naturelle) des récepteurs de la sérotonine, tout comme le LSD et la mescaline par exemple. En gros, le DMT va surexciter les récepteurs à la sérotonine ! C’est donc un psychotrope qui modifie la perception de la réalité et qui provoque de fortes hallucinations. Comme dit précédemment, le DMT est rapidement dégradé lorsqu’il est pris par voie orale. C’est la raison pour laquelle les indiens Yanomami préparent une poudre d’une plante (Virola) qui contient une grande quantité de DMT qu’ils aspirent par le nez ! De cette manière le DMT n’est pas dégradé et peut agir sur le système nerveux…

Aujourd’hui, les éléments actifs et responsables des effets de l’ayahuasca, sont sujets à polémique. Même s’il est bien établi que les β-carbolines de la liane permettent l’action du DMT présent dans la chacruna (le 2nd élément clefs du mélange), le fait que le DMT soit le seul élément psychotrope du breuvage est controversé. Par exemple, certaines tribus indiennes utilisent la liane seule pour le rituel de l’ayahuasca… En effet, l’effet psychotrope des carbolines présents dans la liane est très peu connu, mais elles pourraient également jouer un rôle.

La communauté scientifique a longtemps été intriguée par le fait que les indiens utilisent depuis des millénaires ce mélange de plantes qui agissent en synergie l’une grâce à l’autre. Comment l’ont-ils découvert ? Ça reste un mystère.

La préparation du breuvage

Le cérémonial de l’ayahuasca peut être catégorisé selon le type de rituel, les effets obtenus et le type de plantes utilisées pour le mélange. Selon les communautés, le chaman, et la région de l’Amazonie, la composition de la décoction peut changer du fait qu’il y ait plusieurs espèces de liane Banisteriopsis et d’additifs psychotropes. Les chamans gardent secrètement leur recette de préparation. En effet, certaines autres plantes sont aussi parfois ajoutées pour moduler les effets et ainsi jouer davantage sur l’aspect médical, religieux ou spirituel. Elles contiennent généralement d’autres alcaloïdes qui ont également un effet sur les cellules du système nerveux. Le breuvage peut se présenter de couleur jaune, blanc, brun ou rouge selon les différents types de plantes qui le composent.

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La liane et la Chacruna sont mélangées dans des proportions qui varient selon le chaman, la tribu, la région d’Amazonie.

Les effets de l’ayahuasca

L’ayahuasca est purgative et hallucinogène. On distingue les effets psychotropes (hallucinations, idéations intellectuelles et spirituelles, expériences mystiques,…) et les effets périphériques (vomissements, diarrhée, augmentation de la pression sanguine et de la fréquence cardiaque…).

Les visions obtenues sont prises très au sérieux par les différentes communautés amazoniennes. Des animaux comme les jaguars ou les serpents apparaissent souvent lors de ces visions. Bien souvent, les témoignages relatent des expériences de « mort de l’égo » et la découverte d’autres dimensions. Pratiquer l’ayahuasca permettrait de vivre une « croissance » accélérée de la conscience et vivre une expérience spirituelle intense.

L’Ayahuasca est-elle toxique ?

Les effets purgatifs seraient liés à un excès de sérotonine plutôt qu’à la toxicité du mélange. En effet, la sérotonine stimule par exemple la motilité de l’intestin et peut donc provoquer des diarrhées. 

A priori, aucun cas de décès n’a été rapporté officiellement suite à la prise d’ayahuasca dans la littérature scientifique. Cependant les rituels et la prise d’ayahuasca se sont dernièrement extrêmement développés, en particulier au Pérou. C’est devenu pour certains une source de revenu, et des nouveaux « chamans » apparaissent ici et là… Attention à ces sorciers improvisés qui sont prêts à tout pour gagner toujours plus d’argent, pratiquent ces rituels de manière douteuse et n’hésitent pas à gérer des groupes trop grands.

Une des choses qu’il faut éviter: la prise d’ayahuasca avec la prise d’antidépresseur.

Les études démontrent globalement que la prise d’ayahuasca ne présente pas de risque majeur quant à sa toxicité, et ne provoque aucun phénomène d’addiction. Cependant, étant donné l’intensité de l’expérience, il y aurait un risque (faible) de stress post-traumatique. Sarah Lewis, anthropologue à l’Université de Columbia aux Etats-Unis, argumente dans son livre « Ayahuasca : la crise spirituelle », qu’arriver à des niveaux élevés de conscience peut altérer l’état de conscience naturel et générer des problèmes psychologiques, spirituels et émotionnels à long terme.

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Le liquide bu est plutôt épais et d’une couleur brune. Généralement, le goût n’est pas très apprécié.

Les différentes utilisations de l’ayahuasca

Le rituel chamanique des communautés amazoniennes

Les rituels entrent dans le cadre des traditions et de la cosmogonie (= mythologie) indienne. L’ayahuasca permettrait de communiquer avec les ancêtres et différents esprits de la nature, ainsi que de s’attribuer leurs faveurs via un changement d’état de conscience. Selon les indiens, c’est une voie d’accès à une réalité plus réelle que celle de notre quotidien. La vérité vraie quoi !

Traitement chamanique thérapeutique

L’ayahuasca est également consommée très souvent dans un cadre thérapeutique. Dans certaines tribus au Pérou, le chaman et les personnes malades consomment ensemble l’ayahuasca pour connaître la cause de la maladie lors de la transe. Parfois dans d’autres tribus, seul le chaman la consomme pour établir le diagnostic. Vous l’aurez compris, l’ayahuasca est un outil majeur dans l’arsenal thérapeutique du chaman, qui une fois qu’il a établi la cause de la maladie, utilise des plantes pour traiter la personne qui est malade.

Selon les chamans, il faudrait jusqu’à 25 ans de pratique pour maîtriser l’ayahuasca et savoir la gérer dans les meilleures conditions.

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Le chaman commence la cérémonie de l’ayahuasca en recrachant la fumée d’une cigarette épaisse, qui repousserait les mauvais esprits.

L’utilisation par les religions syncrétiques

L’ayahuasca est utilisée dans les pratiques religieuses de plusieurs églises brésiliennes, comme Santo Daime ou União do Vegetal. Dans ces groupes religieux, les traditions amazoniennes indiennes sont mélangées avec les croyances judéo-chrétiennes et d’autres venues d’Afrique. L’ayahuasca y est donc consommée de une fois par semaine à deux fois par mois. Ces églises constituent des groupes parfaits pour la recherche sur les effets de la prise régulière d’ayahuasca. De fait il a été démontré que sa consommation régulière n’est pas toxique pour l’organisme et n’a pas d’effet négatif sur la santé. Mieux encore, il semblerait que les membres de ces communautés augmentent leur confiance, leur optimisme, et même une légère rémission chez ceux qui présentaient une dépendance à certaines substances ou ayant certains troubles psychiatriques.

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La liane Banisteriopsis et la chacruna sont cultivées sur place au sein de l’église Santo Daime. Les femmes s’occupent de récolter la chacruna pendant que les hommes préparent la liane en l’écrasant dans un rituel bien organisé qui comprend notamment des chants.

L’origine du Santo Daime au Brésil

Son fondateur, Raymondo Irineu, était un ancien esclave qui travaillait le caoutchouc. Porte-parole des autres esclaves et doté d’un fort charisme, il réussit à racheter sa liberté. Parti au Pérou, il fait connaissance avec un chaman indien qui l’initie à l’ayahuasca. Ses visions lui dictent de transmettre la parole divine. Il fonde le Santo Daime, religion syncrétique entre christianisme et rituels amazoniens.

Dans cette religion, l’ayahuasca est appelée Daime et sa préparation se fait selon un processus extrêmement codifié. Les proportions entre la liane et la chacruna, la quantité d’eau, le temps de décoction, tout est bien contrôlé. Les 2 composants du mélange de l’ayahuasca sont cultivés sur place. Les hommes s’occupent d’aplatir les lianes en ryhthme, et en chantant tous ensemble. Et les femmes récoltent et préparent la chacruna. Les cérémonies dans le Santo Daime sont bien différentes de celles effectuées par le chaman indien. Dans le Santo Daime, les hommes mettent parfois une cravate et les femmes se mettent un diadème sur la tête. Lors des cérémonies, tous les fidèles chantent et dansent au rythme de la musique en costume blanc. Par ailleurs, il n’est pas obligé d’être membre de l’église pour assister aux cérémonies ou même prendre le Daime.

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Tous les fidèles chantent, dansent et revêtent leurs plus beaux habits lors des cérémonies d’ayahuasca de l’église Santo Daime.

« Ayahuasca Airline »

Ces dernières années, un tourisme qui propose des expériences autour de l’ayahuasca s’est énormément développé. Elle s’est faite connaître dans les années 60, en plein essor du LSD et de la culture psychédélique.

Le tourisme développé en Amazonie autour de l’ayahuasca propose une expérience positive, mystique, d’introspection pour mieux se connaître et comprendre le monde dans lequel nous vivons. Bien que le monde occidental s’intéresse de plus en plus aux traditions indigènes, la pratique de l’ayahuasca se détourne de plus en plus du rituel ancestral originel pour s’orienter vers un tourisme de folklore à sensations fortes. Attirés par l’appât du gain, des faux chamans apparaissent et n’hésitent pas à prendre en charge de grands groupes de plus de 40 personnes dans une vaste cérémonie folklorique… A Iquitos en Amazonie péruvienne, le taux de chômage dépasse probablement les 50%, et le salaire minimum ne dépasse pas les 200 € par mois. Lorsqu’on connaît le prix que les touristes sont prêts à payer pour vivre une « expérience chamanique », on peut facilement comprendre aussi l’intérêt des locaux pour développer de ce type de tour.

L’ayahuasca a été déclaré Patrimoine culturel du Pérou et du Brésil de manière à protéger le breuvage, les rituels et la culture associée à son usage. Au Pérou, au Brésil, en Equateur et aux Etats-Unis, l’utilisation de l’ayahuasca est légale si elle est consommée dans un cadre traditionnelle ou religieux.

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Depuis une vingtaine d’années, les touristes ne cessent d’affluer dans ces centres spirituels spécialisés dans les cérémonies d’ayahuasca.

La recherche scientifique et les perspectives thérapeutiques autour de l’ayahuasca

L’ayahuasca aurait démontré son efficacité pour traiter certaines addictions, en particulier la cocaïne et l’héroïne (centre Takiwasi de Tarapoto au Pérou, Chambou 2009).

Les travaux de recherches sur l’effet de l’ayahuasca sur la santé ont été énormément freinés du fait de son interdiction et de sa classification comme stupéfiant dans de nombreux pays occidentaux dans les années 70.

Aujourd’hui, les travaux sur les alcaloïdes contenus dans l’ayahuasca et leurs effets sur l’Homme reprennent petit à petit. Certains principes actifs pourraient avoir un intérêt dans le traitement de plusieurs maladies comme la maladie de Parkinson, les troubles psychiatriques ou la dépression.

Clairement, l’ayahuasca est bien plus qu’un simple trip hallucinogène, c’est un breuvage millénaire, chargé d’histoire qui s’inscrit dans une démarche spirituelle et un rituel bien établi dont les différentes étapes ont leur importance. Mécanisme d’action, effet sur le corps humain, bénéfices spirituels et physiques, moyen de communication avec une autre réalité… L’ayahuasca est un des éléments emblématique de l’Amazonie : un grand mystère qui laisse rêveur, qui attise à l’extrême la curiosité et qui inspire le respect par sa puissance !

Références :

http://www.ayahuasca-info.com/fr

http://ayahuascahealings.com/ayahuasca-retreats-usa/ayahuasca-dietary-guidelines/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayahuasca

http://www.neotrouve.com/?p=1191

http://www.france-ayahuasca.com/

http://www.vice.com/es_mx/read/ayahuasca-popularizacion-de-una-cosmogonia-amazonica

Fabien
fabien@gayatrek.com

J’ai été biologiste dans différents laboratoires à Amsterdam et à New-York, puis directeur régional dans l’industrie pharmaceutique au Mexique et en Argentine. Je vis en Amérique latine depuis presque 10 ans et j’ai eu la chance de voyager dans toute la région. Avide de voyage, de rencontres et d’expériences « outdoor », j’ai décidé en 2014 de me dédier à 100% à mes deux passions : le trekking et la jungle.

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