Le serpent est effectivement un des dangers de la forêt amazonienne et il faut bien entendu apprendre à s’en méfier, même si tous les serpents sont différents tant au niveau de leur dangerosité (une minorité représente un danger réel), de leur agressivité et de leur comportement en général. Vous ne le savez probablement pas mais il y a une technique presque infaillible en cas de morsure, je vous la présente un peu plus bas.
Par ailleurs les différentes allégories que le serpent véhicule sont omniprésentes depuis toujours dans les différentes cultures à travers le monde, de manière consciente ou inconsciente. A la fin de l’article, pour mieux comprendre pourquoi il génère autant de craintes et de fascination, je vous parlerai brièvement du Serpent Cosmogonique et de sa présence dans les différentes mythologies. Je préfère ne pas commencer le billet par cette partie, car la moitié d’entre vous ne lirait pas le reste ! Vous me direz si j’avais tort…
Une multitude de serpents tous très différents…
Selon le mode de vie du serpent, sa taille et son aspect changent. Par exemple, les serpents arboricoles ont un corps aplati, long, mince et une queue préhensile qui leur permet de mieux se mouvoir sur les branches. Les espèces terrestres ont un corps davantage cylindrique, en général plus court. Les espèces aquatiques ont les yeux et les narines placés sur la partie haute du crâne de manière à pouvoir s’orienter et sentir lorsqu’ils nagent à la surface de l’eau.
Les serpents boïdés et certains vipéridés possèdent des fossettes nasales qui leur permettent d’obtenir une image thermique de la proie. Ils peuvent percevoir les plus infimes changements de température dans un rayon de 10 m.
- Il y a environ 2900 espèces de serpents dans le monde. Seuls 10% son vénéneux, et seulement 2% sont dangereux pour les humains.
- Ils vivent sur tous les continents du monde, excepté en Antarctique.
- Les serpents ont une vue très faible, n’entendent pas, mais peuvent écouter en sentant les vibrations transmises aux os du crâne.
- Ils dépendent de la « chémo-réception » pour pister leurs proies et reconnaître leur environnement. La langue en mouvement du serpent capte les arômes de l’air ambiant et les transmet à l’organe de Jacobson pour les analyser.
- Comme tous les reptiles, ils sont de sang froid et ne peuvent pas générer de chaleur. Raison pour laquelle ils ne peuvent pas maintenir une activité « aérobie » plus de quelques minutes.
- Tous les serpents muent pour pouvoir grandir et remplacer leurs vieilles écailles.
- Les pupilles verticales des yeux sont typiques des espèces nocturnes. En condition normale de lumière, ces pupilles se contractent.
- Les serpents se déplacent lentement : en moyenne 6 km/h maximum.
- Les serpents doivent ingérer 6 à 30 repas par an, environ 1 toutes les deux semaines. Néanmoins, certains serpents peuvent déconnecter leur système digestif et ne pas manger durant de nombreux mois après un gros repas.
- Ils peuvent vivre entre 8 et 25 ans. Jusqu’à 40 ans pour les grandes espèces comme le python ou l’anaconda.
Quelques serpents que l’on peut trouver dans la jungle amazonienne
Bothrops ou Fer de lance
A la taille adulte, le fer de lance peut atteindre 2 m. Son nom lui vient de la forme de sa tête : triangulaire et pointue. Son corps brun olive présente des dessins géométriques en forme de triangles sur le dos. Une de ses caractéristiques est la partie inférieure de sa tête jaune pâle, raison pour laquelle il est parfois appelé « barba amarilla » (« barbe jaune » en espagnol). Les fers de lance communs peuvent vivre jusqu’à 20 ans.
Le « maître de la brousse » (lachesis muta)
Nettement moins fréquent, le « maître de la brousse » est le plus grand serpent venimeux d’Amérique du Sud : il mesure entre 2 et 4 m de long. Plusieurs remèdes homéopathiques sont à base de son venin, par exemple contre le mal de gorge. Son nom scientifique est lachesis muta. Le mot muta vient du latin mutus, muet, car sa queue ne tremble pas à la différence du crotale.
Le serpent corail
Le terme serpents corail s’applique à un groupe étendu de serpents de la famille des Elapidae. Ils sont parmi les plus venimeux au monde (venin neurotoxique qui bloque le système nerveux). Les couleurs vives du serpent corail signalent sa dangerosité et constituent un avertissement pour les autres animaux. Ils sont présents dans les jungles d’Afrique (du Sud), d’Amérique, et d’Asie. Contrairement à d’autres espèces, il ne redresse pas la tête en cas de danger. Il n’est pas agressif et il est facile de lui marcher dessus sans même s’en rendre compte… Plusieurs espèces de serpents non venimeuses, ont développé un certain mimétisme avec le serpent corail pour éloigner de la même manière les prédateurs.
Une équipe internationale de chercheurs est parvenue après plusieurs années de recherches à comprendre le mécanisme d’action de son venin. Ces recherches devraient permettre de grandes avancées sur les mécanismes cellulaires mis en jeu dans l’épilepsie, la schizophrénie et la douleur chronique.
Couleuvres arboricoles dites »opisthoglyphes »
Plutôt petits, timides et magnifiquement colorés comme les boas arboricoles de l’espèce corallus hortulanus ou ‘boa de cook’ ou les spectaculaires ‘serpents lianes’ (oxybelis sp), les serpents opisthoglyphes possèdent dans la partie postérieure de leur maxillaire un ou plusieurs crochets à venin. En raison de cette position au fond de la gueule, il est rare de se faire envenimer par un tel serpent, même si le risque existe car certaines espèces peuvent ouvrir la gueule à 180°. Par ailleurs, ces serpents sont généralement peu venimeux et non mortels.
L’Anaconda vert
Considéré comme le serpent le plus imposant au monde, l’anaconda vert mesure jusqu’à 8,5 m de long et peut peser 200 kg. Il réside majoritairement dans l’eau, chasse la nuit et se nourrit surtout d’oiseaux et de rongeurs. Les jeunes anacondas chassent en se laissant tomber sur leur proie depuis une branche d’arbre pour s’enrouler autour et l’étouffer. Les plus âgés préfèrent approcher leur proie dans l’eau, qui sera attirée vers le fond et finalement noyée. Contrairement aux histoires des films hollywoodiens, il n’a jamais été prouvé qu’il puisse manger un homme ! D’ailleurs certains se rappelleront de Pau Rosalie, un naturaliste showman américain qui s’était mis en tête d’être dévoré par un anaconda. Il portait une combinaison assurant sa protection, et l’expérience a été interrompue car il a pris peur ! Sans blague ? C’était en fait plus un coup médiatique orchestrée par la chaîne de télévision Discovery Channel…
La morsure de serpent, un des dangers de la jungle
- Le venin des serpents sert à immobiliser leur proie mais aussi à aider à sa digestion.
- Les morsures sont effectuées au niveau des pieds et des chevilles dans 72% des cas (généralement quand une personne marche dessus accidentellement), les cuisses 14%, les mains 13% et la tête dans 1% des cas.
- En forêt, les espèces les plus à redouter sont les bothrops (fer de lance) de la famille des vipéridés. Ils ne sont pas agressifs mais leur mimétisme est tel qu’ils passent inaperçus et il est donc facile de marcher dessus. D’où le pourcentage élevé de morsures au niveau des pieds et des chevilles, et l’intérêt de porter des bottes lorsque l’on marche en pleine jungle.
- La morsure est mortelle seulement dans 1 à 2% des cas… La plupart des morsures sont causées par des serpents non venimeux. Celui qui s’enfuit à toute vitesse devant vous lors d’une marche est probablement une inoffensive couleuvre !
- Un serpent nécessite 2 à 3 semaines pour renouveler son stock de venin, il ne l’utilise donc que lorsque c’est nécessaire et préfère ne pas le gâcher quand l’animal est de toute façon trop gros pour qu’il puisse le manger… Le pourcentage de morsures dites « sèches » ou « blanches » lors desquelles le serpent n’injecte pas de venin est variable selon l’espèce : 30% des morsures pour les serpents de la famille des vipéridés et 50% des morsures pour le serpent corail.
- Les légendes sur les »serpents minute » mortels sont fausses, cela n’existe pas !
La gravité d’une morsure de serpent dépend de différents facteurs comme l’espèce du serpent, la partie du corps concernée, la quantité de venin injectée ainsi que l’état de santé de la personne. Bien souvent cette dernière panique et peut sentir de faux symptômes comme par exemple la tachycardie ou des frissonnements. Les serpents mordent généralement pour se défendre, lorsqu’ils sont surpris, provoqués ou coincés. Face à un serpent, il est recommander de garder le silence et de ne pas bouger. S’il ne s’en va pas, il est préférable de partir lentement.
Les serpents évitent les lumières trop fortes et de fait s’aventurent peu aux alentours des feux de camps.
Les méthodes aujourd’hui déconseillées :
- L’application d’un garrot sur le membre mordu. Bien qu’il puisse se montrer efficace pour certains venins comme celui du cobra aux Philippines, s’il est mal fait il peut s’avérer être dangereux et entraîner une gangrène.
- Entailler la zone mordue risque d’augmenter la taille de la plaie et du coup les risques d’infection.
- Sucer le venin. Totalement inefficace, cette pratique génère aussi un risque d’empoisonnement à travers les muqueuses de la bouche. Les pompes « aspi venin » ne retirent qu’une quantité insignifiante de venin en surface et ne servent finalement qu’à rassurer la victime…
- Attention à l’anti-venin. C’est un produit très allergisant et du coup potentiellement dangereux. N’y avoir recourt que dans la situation où l’on se trouve dans un lieu très isolé et loin des premiers secours. Il s’injecte au voisinage de la plaie ou à la cuisse.
Une fois encore, la mort par envenimation est rarissime, donc pas de panique (je sais, facile à dire) ! Le meilleur moyen pour anticiper ce genre de situation est de bien regarder où l’on marche, porter des chaussures montantes ou même des bottes, éviter les endroits appréciés des serpents comme les herbes hautes, les rochers, le bois mort.
Jusqu’à présent jamais aucun guide ne m’a reporté un quelconque accident avec un serpent. C’est en réalité rare et difficile d’en croiser un. Si c’est le cas, prenez vos distances et profitez du spectacle !
Magnifique petit serpent sur la poignée de la rame du guide, croisé dans le Parc Yasuni en Equateur (la 2ème photo est un zoom de la 1ère).
Que faire en cas de morsure ?
Dans mon introduction je vous ai dit que j’allais vous donner une méthode infaillible en cas de morsure… Bon, en fait j’ai menti (pardon)… Et oui, c’était une technique de sioux, pour que vous arriviez jusqu’à cette partie. Mais du coup c’est pour votre bien ! Bah oui, imaginez un jour que vous partez en trek, par exemple le trek Cordillère et Yunga en Bolivie, et un compagnon se fait piquer (mais aucune chance, ça n’est jamais arrivé et ça n’arrivera pas !)… Vous serez bien content d’avoir lu tout ça !
Le principe de base consiste à ralentir la propagation du venin dans le reste du corps et en particulier dans les organes vitaux. Ralentir le rythme cardiaque ou du moins, éviter que celui-ci ne s’emballe est donc la première des mesures à prendre. L’attitude à avoir est sujette à controverse. Toutefois, la plupart des guides recommandent les points suivants :
1- Protéger la personne d’autres morsures en l’éloignant du serpent. Cependant, sans prendre pour autant des risques inconsidérés, il est bon de fournir aux secours le serpent mort de manière à clairement l’identifier et pouvoir prodiguer les soins adaptés au type de venin (hémotoxique, neurotoxique ou mixte). Attention, même plusieurs minutes après sa mort, et même décapité, la tête d’un serpent peu mordre et injecter son venin.
2- Calmer la personne, pour diminuer son stress, la circulation sanguine et donc la diffusion du venin dans l’organisme.
3- Trouver de l’aide pour rapatrier la personne vers un hôpital proche, où un antivenin adapté aux serpents courants de la région est probablement disponible.
4- Installer la personne de manière à ce que la partie mordue soit située plus bas que le cœur, et la garder aussi immobile que possible.
5- Ne rien donner à manger ou à boire à la victime, en particulier de l’alcool qui est un vasodilatateur. La diffusion du venin n’en serait que plus rapide. Ne pas non plus prendre d’analgésiques.
6- Oter tous les bijoux ou vêtements pouvant devenir un garrot et bloquer la circulation du membre blessé (bague, bracelet, montre, chaussure, pantalon).
7- Une méthode déconseillée pour les venins cytotoxiques (action locale sur le membre touché), mais recommandée pour les morsures de serpent à venin neurotoxique (donc avec une action systémique sur tout le corps via la circulation sanguine) est l’immobilisation par pression. Elle consiste à contenir le venin en appliquant un bandage qui s’enroule progressivement en amont et en aval de la morsure. La partie touchée doit rester immobile. Attention, le bandage ne doit pas couper la circulation ! L’objectif n’est pas de faire un garrot, on doit pouvoir passer un doigt entre le bandage et la peau.
Le serpent est présent dans toutes les cultures et les mythologies
Le Grand Serpent cosmogonique*, a toujours été présent dans l’imaginaire de l’être humain, de Ras Shamra (mythologie phénicienne) au Loch Ness. Comme protagoniste clef, souvent marin et ambigu, il véhicule les peurs, les angoisses, les désirs, les espoirs.
Dans toutes les cultures, le serpent est le symbole de la connaissance divine. Par exemple, dans la culture amérindienne, on retrouve Quetzalcoatl : serpent ailé, dieu pacifique et dieu éducateur qui détient le savoir. Les indiens lui attribuait l’invention du tissage et du zéro, donc des mathématiques, et de fait de l’astronomie.
Par ailleurs, les représentations de serpents ou double serpents sont souvent présentent dans les « hallucinations » provoquées par des plantes ou racines psychotropes comme par exemple l’Ayahuasca lors de rituels chamaniques. Ces visions seraient pour certains ayant vécus des expériences bouleversantes lors de telles cérémonies, une forme de communication avec les forces universelles, voire même la perception de la double hélice d’ADN présente en nous et de fait l’accès aux origines du savoir, ni plus ni moins… (intéressé ? Justement je compte écrire un billet sur l’Ayahuasca :-)) !
Peinture d’une vision sous ayahuasca de Pablo Amaringo, qui fut chaman pendant de nombreuses années en Amazonie au Pérou.
Quetzalcoatl, il est l’une des incarnations du serpent à plumes, qui était une des principales divinités à l’époque précolombienne dans la région mésoaméricaine (du nord du Mexique à une partie de l’Amérique centrale).
Sa symbolique est profonde et complexe. Il est la plupart du temps associé au monde des morts et de la nuit (organisme à sang froid, absence de paupières,…). Parce qu’il connaît les secrets de l’après-vie et qu’il est une figure de patience, il est aussi le symbole de toute sagesse. Il possède un savoir vital et mystérieux, capable de révéler l’avenir et le passé. Le serpent est aussi l’animal qui mue, qui se régénère. Il représente l’une des plus vieilles représentations de la jeunesse éternelle.
Une fois encore, le risque zéro n’existe pas. Ni en Amazonie, ni à Rio de Janeiro, ni à Mexico, ni même en haute montagne. Le serpent fait clairement partie des risques qu’il faut savoir éviter et une conduite appropriée est de rigueur si on en croise un ou si un accident arrive. Entre le fait qu’il soit difficile d’en croiser en général, que la quantité de serpent dangereux se résume à un faible pourcentage et que grosso modo la moitié des morsures sont dites « sèches » donc sans injection de venin, le risque d’accident grave est finalement infime. La jungle il ne faut pas en avoir peur sinon la respecter…
*La « Cosmogonie » regroupe les récits oraux sur la création du monde fondant presque toutes les religions. Elle se distingue de la « cosmologie » qui constitue la science des lois qui régissent le fonctionnement du monde physique.
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